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AUTRES ÉCRITS

Le Capital est l’oeuvre majeure de Marx, l’oeuvre de référence dans la naissance de ce qui sera nommé Matérialisme historique. Elle peut donc apparaître comme fondamentale, à condition de saisir une oeuvre dans une topologie qui ne soit pas organisée par un centre mais par une forme d’ellipse. C’est dans cette perspective que les autres écrits prennent valeur.

Ces autres écrits débutent par les oeuvres poétiques de Marx. Karl a 18 ans avec des textes qui font renversement déjà : « si vous êtes sur la tête, vous n’êtes pas sur le cul » ou encore « Si Dieu est un point, il n’est pas un cylindre »

Ce renversement se poursuivra dans la rupture avec le renversement de la philosophie-théologie de  Hegel.

Ainsi au niveau directement politique,  c’est avec des articles publiés dans la Rheinische Zeitung (La Gazette Rhénane ) dès 1842, que Marx, âgé de 24 ans, déploie ce qui fera le thème majeur de son oeuvre : 

la liberté humaine. Il publie ainsi dans cette Gazette ses premiers articles sur la liberté de la presse.

C’est à l’occasion de l’interdiction légale et de la cessation de publication de La Gazette Rhénane que Marx écrit à Arnold Ruge dès l’annonce de la censure d’Etat : « Il est mauvais d’assurer des taches serviles, fût-ce au nom de la liberté, et de se battre à coups d’épingles et non à coups de massue. J’en ai assez de l’hypocrisie, de la sottise, de l’autorité brutale. J’en ai assez de notre docilité, de nos platitudes, de nos reculades, de nos querelles de mots. Je ne puis rien entreprendre en Allemagne. Ici, on se falsifie soi-même »[1]

C’est ce refus d’une vie humaine qui ne vaudrait la peine d’être vécue socialement qui va l’orienter vers l’analyse de ce que produisent les modes de production liés au vampirisme du Capital. Les questions des conditions de vie concrètes, les inégalités obscènes, la question de l’Etat vont faire le tissu de ses autres écrits qui vont par la suite se centrer sur la critique de l’économie politique.

C’est donc une critique des apparences - les apparences de la légalité en premier lieu - qui va dans différents registres, philosophiques, économiques, politiques alimenter sa pensée.

Il quitte ainsi dès son article « Sur la question juive » publiée à Paris au printemps 1844 dans le numéro des Annales franco-allemandes le mode hégélien de penser. En témoigne ainsi sa critique de l’hégélien de gauche Bauer qui explique : « les juifs réels par la religion, au lieu d’expliquer le mystère de la religion juive par les juifs réels ». Cela signe la dimension du primat du concret dans la vie politique et une analyse qui part d’une base autre que la base théologique fut-elle abstraction laïque ou abstraction psychanalytique. Il poursuit ce renversement déterminant avec son « Introduction à la Critique des fondements du Droit de Hegel » dans le même numéro des Annales franco-allemandes. La poésie se mêle dans son style au savoir scientifique. La phrase qui en témoigne le plus est très connue : « La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l'esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.»[2] Marx premier clinicien du transfert social avait pris soin d’indiquer auparavant «La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle »[3]

Vouloir que l’homme renonce à la religion équivaut à la volonté de renoncer à cet état qui a besoin d’illusion : il s’agit de passer de l’imaginaire au vivant. Ainsi indique-t-il : « La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaine et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour que se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme,  tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même »[4]

L’orientation s’affirme toujours valable aujourd’hui : « L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »[5]

Formidable mouvement de la critique qui donnera, en collaboration avec Friedrich Engels, la très déjantée « Sainte-Famille - Critique de la critique critique » en 1845 où se bousculent métaphores et métamorphoses pour décrire la jouissance concrète humaine dans les rapports sociaux.

La liste est trop longue pour dire tout l’intérêt de ces autres écrits. Je terminerai par le fait  que dans les « Fragments sur les machines » écrit dans les Grundrisse en 1858, Marx imagine que « le capitalisme s’effondre car il ne peut subsister dans un monde de savoir partagé »

Est-ce que cela anticipe la société immatérielle et une stratégie possible pour en finir avec le capitalisme au XXIème siècle ? Les paris sont ouverts.

Cette anticipation possible qui serait dans la continuité de la boussole des rapports des libertés avec les différentes formes d’Etat que je vais déployer portera le souffle des autres écrits.

 

Hervé Hubert

 

 

 

[1]Karl Marx, Lettre à Arnold Ruge du 25 janvier 1843, in Correspondance, tome 1, Paris, Editions Sociales, 1978, p. 280

[2] Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Editions Allia, Paris, 1998, p. 8

[3] idem

[4] idem, p. 9

[5] idem, p. 9 et 10

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