AUTRES ÉCRITS
MARX ET LA PSYCHOLOGIE II
Dans les Manuscrits de 1844 j’indiquais dans l’article Marx et la Psychologie I, le passage où Karl-Heinrich âgé de 26 ans se révèle être précurseur de la psychologie de demain, celle qui n’existe pas encore en ce début de XXIème siècle, tant elle s’est fourvoyée jusqu’à maintenant dans ce que Georges Canghillem décrivait de sa fonction de police de l’esprit dans son fameux article « Qu’est-ce que la psychologie ? » en 1958 : « Quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si on va en descendant on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police ». A cette époque, le Département de Psychologie se situe à cet endroit de la rue Saint-Jacques et donne donc le choix en en sortant d’aller en montant vers un transfert dirigé vers la fonction du Père Mort et du Père Idéal, ou en descendant vers la fonction de police de la pensée. Il poursuit d’ailleurs en évoquant les tests psychologiques infligés aux humains, les « testés » : « La défense des testés c’est la répugnance à se voir traité comme un insecte, par un homme à qui il ne reconnait aucune autorité pour lui dire qui il est et ce qu’il doit faire »
Marx est donc précurseur de ce qui n’est pas encore advenu. Précurseur ? C’est au moment où débutent les effets du transfert social de ce qui sera nommé Révolution Industrielle que Marx indique clairement : « l’histoire de l’industrie et l’existence objective de l’industrie sont le livre ouvert des forces essentielles de l’homme, la psychologie de l’homme concrètement présente que, jusqu’à présent, on ne concevait pas dans son lien avec l’essence de l’homme ». Il oppose son analyse à la réduction classique : « on réduisait la réalité des forces essentielles de l’homme et son activité générique à l’existence universelle de l’homme, la religion ou l’histoire dans son essence abstraite universelle : la politique, l’art, la littérature, etc ». Cela est à nouveau d’une importance extrême quant à la situation de la psychologie, la psychanalyse aussi bien, aujourd’hui. L’essence abstraite et universelle sont la soupe quotidienne des sujets psychologiques ou des sujets de l’inconscient, fussent-il lacaniens. Cette abstraction a des effets meurtriers pour ceux qui subissent cette mise en cage catégorielle d’autant qu’elle est toujours conjuguée à la transcendance. Je définis la transcendance en me référant à François Châtelet, dans « Les années de démolition » (1) : « Dans notre jargon de philosophes, un principe posé à la fois comme source de toute explication et comme réalité supérieure, nous appelons cela transcendance »
La puissance de la pensée Marx quant à son incidente sur la psychologie est impressionnante. Il souligne l’impasse que représenterait une psychologie qui serait basée sur l’homme défini comme concept abstrait universel. Il renforce ce point en le nouant à la transcendance : sa critique de la religion est essentielle et est soulignée ici dans son rapport à une histoire prise dans son essence abstraite universelle et ses effets quant à la façon de prendre la politique, l’art, la littérature.
Que penser donc de cette science qui se donne des grands airs ? « En faisant de l’esprit un petit univers à part, séparable et observable comme avec des appareils, on fait de l’esprit une chose, c’est-à-dire qu’on l’enterre comme esprit » répondra Canguilhem à propos de « la science psychologique ». La sentence de Marx qui évoquant ceux qui font abstraction du livre ouvert des forces essentielles de l’homme et, infatués nient donc leur lacune en nommant ce livre du concret du mot « besoin, besoin vulgaire, ce qui est pour eux signe dévalorisant. Cela anticipe un certain mépris lacanien pour ceux qui ne sont pas nés munis de la théorie du signifiant et du désir et ne peuvent passer par ce défilé obligé pour toute psychanalyse digne de cette mondanité.
Alors quelle solution ? La réponse est dans la formulation de la question et la piste en est donnée dans le paragraphe des Manuscrits de 1844 qui précède l’incidence sur la psychologie.
(1) François Châtelet, Les années de démolition, Editions Hallier, Paris, 1975, p. 263
© Hervé Hubert, le 96 marx 2017